Pour ses 50 ans, le géant nippon de l’animation Toei a lancé un nouveau concept totalement novateur, le Ga-nimé. Cette nouvelle forme d’expression utilise toutes les facettes du dessin, de la peinture, de la photographie, de la poésie, de la musique et de l’animation pour mettre en scène une histoire et une musique inédites. Contrairement à l’animation traditionnelle qui est en mouvement, le Ga-nime combine image fixe (ga) et animation vidéo (animé), dans un nouveau genre cinématographique, qui permet aux artistes plasticiens de donner libre cours à leur imagination à travers des plans fixes, proches de la peinture ou de la photographie. Il n’est pas question de créer une illusion de mouvement, mais des images de très haute qualité. C’est cette forme originale qu’a choisie Koji Fukada pour adapter La Grenadière de Balzac. Et le résultat est une merveille.
Une carte de France, avec le portrait de Dante dans l’angle supérieur droit, laisse apparaître en zoom l’Indre et Loire, puis Tours et la commune de Saint-Cyr-sur-Loire. Deux voix off engagent un dialogue, deux femmes, Louise de Chaulieu et Renée de L’Estorade, héroïnes du roman par lettres Mémoires de deux jeunes mariées. Cette conversation introduisant et enchâssant l’intrigue proprement dite reproduit le dispositif de tant de romans balzaciens qu’il a été choisi pour ce film bien qu’il n’existe pas dans la nouvelle. Puis le départ de Louis-Gaston en larmes sur la corvette qui s’éloigne dans la brume fait démarrer le récit en flash back sur la voix rude qui lui dit « Il ne faut pas pleurer, jeune homme ! Il y a un Dieu pour tout le monde ».
Les tonalités brunes de l’image font alors place à une extraordinaire lumière. Eclat vert des arbres illuminés par le soleil, reflets dans l’eau des silhouettes de la mère, madame Brandon et de ses deux fils Louis-Gaston et Marie-Gaston, paysage visiblement idéalisé par un graphisme naïf et tendre qui rend admirablement l’atmosphère de cette demeure « modeste et sublime » qui « est, au coeur de la Touraine, une petite Touraine où toutes les fleurs, tous les fruits, toutes les beautés de ce pays sont complètement représentés ». La lumière qui baigne le jardin symbolise le bonheur, la sérénité d’une enfance heureuse, cette communication sans paroles qui est le privilège de l’amour maternel. Pure construction idéale imaginée avec délices, négatif – ou plutôt positif – de la situation réelle d’enfant mal aimé qu’Honoré a connue et que son imagination annule ainsi comme par magie. D’une étonnante fidélité au texte de Balzac, compris en profondeur, le récit traduit donc à la perfection toute sa charge fantasmatique, y compris le regard extérieur de l’observateur anonyme qui tente de s’introduire par effraction dans ce bonheur dont il est exclu. La contre-plongée sur la mère et les enfants vus d’en bas au bord de la balustrade de la terrasse est significative à cet égard. De plus Koji Fukada a choisi d’adopter le point de vue du cadet, Marie-Gaston, non présenté dans la nouvelle. Les scènes d’intérieur, elles, décrivent en noir et blanc ou en sépia la vie paisible de ces trois êtres qui vivent en symbiose, piano, prière, leçons, soins attentifs de la mère, heureuse et triste à la fois, scène fameuse des enfants dans son lit. Tandis que certains gros plans en couleurs d’un impressionnisme vibrant de lumière transforment cette mère rêvée en femme-soleil, en femme-lune, en femme-fleur. Le ganimé devient poésie pure.
Mais les larmes coulent sur son visage et la bande son cristallise déjà la menace qui pèse sur cette enfance idyllique et si bien protégée. Un bref flash back rappelle dans le dialogue la funeste aventure amoureuse qui a mis la comtesse de Brandon au ban de la société, aventure non racontée dans cette nouvelle très elliptique, si stimulante pour l’imagination, mais qui renvoie à d’autres, comme La Grande Bretèche ou La Femme de trente ans. Récurrence de cet amour adultère qui obsède La Comédie humaine, avec ses caractères invariables, femme coupable, abandonnée, malade, mourante, séducteur impénitent, qui rachète ou non sa faute par sa grandeur d’âme. Le roman familial de Balzac est là tout entier, aux sources de son œuvre.
Maintenant finies les promenades sur le pont de Tours. La vie se resserre autour de la chambre de la mère, de son lit où la cloue une fatale maladie. Le motif initial des fleurs est repris, puis peu à peu supprimé, leur parfum lui étant devenu insupportable. Les couleurs s’assombrissent encore pour traduire l’abandon qui se dessine à l’horizon des enfants après celui que leur a infligé leur père. La lettre dictée à Louis offre le pardon sublime de l’épouse à celui qui n’a pas su pardonner sa trahison. Et c’est la scène canonique, sobrement dessinée en clair-obscur, de la mort de la mère coupable, sanctifiée par l’amour comme Henriette de Mortsauf dans Le Lys dans la vallée ou Véronique Sauviat dans Le Curé de Tours. L’émotion est à son comble, avant le départ des enfants et le retour mélancolique du flash back. C’est une évidence. Le découpage de Koji Fukada, le graphisme et la palette des couleurs de Ken Fukazawa, la musique envoûtante de Nooki Ueo imposent ce ganimé comme un chef-d’oeuvre. Il a d’ailleurs remporté le prix du meilleur premier film au festival du film japonais contemporain à l’ère numérique de Paris en novembre 2008.
Anne-Marie BARON
Metteur en scène/scénario : Koji FUKADA (né en 1980)
Tableaux/art : Ken FUKAZAWA (peintre né en 1979,)
Musique : Nooki UEO
Production : Toei Animation Co., Ltd.
Durée : 48 minutes en couleur
Voix :
– Louis-Gaston : Kotaro SIGA, Mme Brandon :
– Yoko HIRATA, Louise de Chaulieu : Natsuko HORI (narratrice),
– Renée de L’Estorade: Yukari YAMAGUCHI (narratrice)